banner
Espagne - Province de Huelva

Pyrite

Rio Tinto





Les mines de Rio Tinto



Les premières traces d'une activité minière dans la sierra Morena datent d'environ 3.000ans avant Jésus-Christ mais ce fut sous la direction des Tartessiens et des Ibères que la région connu son premier essor industriel grâce notamment à l'abondance de cuivre et d'argent ainsi qu'aux échanges commerciaux entre la péninsule Ibérique et l'orient. Au fil des siècles et des évolutions sidérurgiques, les différentes exploitations passèrent entre les mains des Phéniciens, des Grecs, des Romains, des Wisigoths et des Maures avant d'être abandonnées et peu à peu oubliées. Ces dernières furent redécouvertes en 1556 à la faveur d'une campagne de prospection mais ce n'est qu'au 18ème siècle que les autorités semblent à nouveau s'intéresser au site. Exploitées en surface de manière sporadique, les mines sont acquises par le Roi d'Espagne Luis 1er qui se désintéresse à son tour des richesses insoupçonnées de la région, ce qui conduira le gouvernement espagnol à vendre les exploitations à un consortium britannique en 1873. Conduit par Hugh Matheson, ce regroupement industriel est composé de :

- la Deutsche Bank (56 % des parts),
- Matheson's Matheson and Company (24 % des parts),
- les chemins de fer Clark, Punchard and Company (20 % des parts).

Le prix de vente fut fixé à 3.680.000 livres sterling (soit 92,8 millions de pesetas espagnols). En outre, le contrat de vente comportait une clause qui spécifiait que le gouvernement espagnol renonçait définitivement à tout droit de réclamer des redevances sur la production de la mine, un détail qui se révèlera particulièrement clairvoyant sur le long terme. Peu après l'achat fut créée la Rio Tinto Company Limited du nom du fleuve Rio Tinto qui prend sa source dans la sierra Morena et qui est particulièrement connu pour son acidité proche du vinaigre ainsi que par sa couleur rougeâtre due au fer dissous dans l'eau. L'abondance des minéraux dans le sous-sol permet au phénomène de s'auto-entretenir depuis des millénaires, ce qui produit une importante pollution dans tout le bassin jusqu'à l'embouchure située à Huelva. En 1888, la branche britannique de la famille Rothschild prend le contrôle de l'entreprise qui a déjà considérablement étendu les activités minières de la Sierra Morena grâce à de vastes exploitations à ciel ouvert auxquelles s'ajoute la construction de fours à calcination nommés "teleras". C'est précisément ces derniers qui conduiront les mineurs et les agriculteurs de la région à une importante protestation contre les fumées produites par ces installations. La situation dégénéra rapidement et eu un écho relativement important au niveau national. Deux camps divisaient la population : les "fumistes" (humistas) qui soutenaient l'utilisation des teleras ainsi que l'expansion industrielle et les « antifumistes » (antihumistas) qui critiquaient l'énorme pollution générée par les fumées qui recouvraient toute la région et étaient parfois visibles depuis Portugal jusque dans la sierra de Séville. En 1879, le gouvernement accorda de faibles indemnisations aux agriculteurs en guise de réparation pour les dommages occasionnés à leurs cultures tout en maintenant l'activité des teleras en dépit des nombreux décès que ces dernières avaient provoqué au fil des ans. Les municipalités tentèrent à leur tour d'interdire les teleras mais le gouvernement, sous l'influence évidente de la compagnie Rio Tinto, abrogeait systématiquement chaque arrêté municipal. Le mécontentement gagna rapidement du terrain et, en 1888, une délégation emmenée par l’anarco-syndicaliste cubain Maximiliano Tornet et composée de mineurs, d'agriculteurs, d'ouvriers agricoles et d'habitants de la région se présenta à la mairie de la localité pour remettre une série de revendications parmi lesquelles la cessation des calcinations en plein air. Une importante grève débute dès le 1er février de la même année et, malgré les tentatives de médiation de la Guardia Civil, la compagnie n'accepte aucune négociation et décide de faire appel à un contingent militaire basé à Huelva. Le 4 février, une nouvelle manifestation composée de près de 12.000 personnes se rend sur la plaza de la Constitución et se retrouve face aux soldats qui ouvrent le feu sur la foule avant d'achever les blessés à la baïonnettes. Personne ne sait ce que sont devenus les corps mais il est fort probable qu'ils furent ensevelis sous des déchets miniers. Bien que ces faits tragiques eurent un retentissement international, ce n'est finalement qu'en 1907 que l'Espagne décida d'interdire totalement l'utilisation des teleras.
Pendant ce temps, la société continua de se développer de manière exponentielle grâce à une longue série de fusions et d'acquisitions qui la placèrent parmi les plus importantes sociétés minières du monde. À la fin du 19ème siècle, celle-ci extrait de ses différentes exploitations du minerai de fer, de l'aluminium, du charbon, des diamants ainsi que de l'uranium et du cuivre dont le plus grand centre d'extraction du monde se trouve dans la sierra Morena. Au début du 20ème siècle, l'approfondissement des chantiers à ciel ouvert impose à la compagnie d'investir dans le fonçage d'une série de puits d'exhaure qui serviront également pour la recherche et, plus tard, pour l'extraction. Voici une liste des principaux puits :

- pozo Victoria,
- pozo Alfonso,
- pozo Dionisio,
- pozo Alicia,
- pozo Conde de Benjumea,
- pozo Alberto,
- pozo Alfredo,
- pozo Amargo.

En 1907, la compagnie commence le creusement de la corta Atalaya tout en modernisant ses installations. Rio Tinto fait alors partie d'un cartel qui contrôle la production de cuivre et de pyrite tout en contrôlant les prix du marché mondial, ce qui lui assure une réussite financière constante jusqu'en 1914. La première guerre mondiale cause une forte décroissance de la demande de pyrite sur les marchés internationaux, ce qui conduit à une baisse d'activité de l'entreprise sur ce plan. En revanche, la demande en métaux des armées européennes et  la reconstruction d'après-guerre offrent de nouveaux marchés, ce qui pousse Sir Auckland Geddes, nouveau directeur général, à diversifier les investissements et à réformer la stratégie commerciale du groupe. Geddes conduit Rio Tinto à créer une série de coentreprise dans le domaine du développement et dans l'exploitation minière étrangère, l'investissement le plus conséquent étant probablement l'achat de concessions et de mines de cuivre en Rhodésie que la société fusionnera en créant la "Rhokana Corporation". Cette diversification permit à l'entreprise de prospérer même lors de la période franquiste, période où le gouvernement rendait extrêmement difficile l'exploitation des ressources naturelles espagnoles au seul bénéfice de sociétés étrangères. Grâce à ses investissements internationaux, Rio Tinto trouva le moyen de céder les deux tiers de ses avoirs espagnols en échange de 7,6 millions de livres sterling et d'une participation à hauteur de 33,3% dans la société acquisitrice nommée Compañía Española de Minas de Río Tinto. Cette transaction fut effective et approuvée par le gouvernement franquiste le 14août 1954. C'est à cette époque, alors que près de 12.000 ouvriers y travaillent, que la corta Atalaya devient la plus grande mine à ciel ouvert du monde. Après avoir consolidé ses activités et modernisé ses installations, la société lance une stratégie d'expansion qui comprend un plan d'industrialisation de la région de Huelva ainsi que dans la périphérie de la zone minière. C'est comme cela que furent fondées une grande usine de concassage dans la zone de Zarandas-Naya, une usine de production d'acide sulfurique à Nerva et que fut créé le siège Rotilio qui possèdera le dernier puits foncé dans le bassin. Nommé en l'honneur de l'ingénieur principal de la société Rotilio Martínez Barreiro, ce puits de 400 mètres de profondeur est équipé d'une tour d'extraction de 18 mètres surmontée d'une poulie Koepe. La Compañía Española de Minas de Río Tinto jouera également un rôle important dans le développement du Pôle Chimique de Huelva grâce à l'installation d'outils de raffinage électrolytique à destination du traitement du cuivre. En 1966, la société s'associe avec la Rio Tinto-Zinc et le groupe Patiño pour créer l'entreprise Río Tinto Patiño. Ainsi, dès 1966 cette nouvelle société se retrouve en charge de la division cuivre du groupe et entame ses activités tant dans le riche gisement de Cerro Colorado que dans le pôle chimique de Huelva où elle fait construire une nouvelle fonderie de cuivre. En 1972, la société mit la main sur la concession de Peña del Hierro mais ne réactiva jamais la zone. Quatre ans plus tard, en 1976, le groupe Patiño vend sa participation à la Unión Explosivos Río Tinto, un regroupement d'entreprises espagnol actif entre 1970 et 1989. Bien que le nom Rio Tinto Patiño ait encore été utilisé pendant plusieurs années, le nouveau nom officiel de la société est Río Tinto Minera. La création de ce nouveau groupe permet de recentrer les différents secteurs d'activités (pyrite, cuivre, or et argent) sous la même juridiction. À partir de cette époque, le groupe entamera une nouvelle phase d'acquisition et d'investissements qui mèneront à la formation d'Ibercobre, un conglomérat qui a pour but de concentrer l'industrie espagnole du cuivre sous une même société holding. La Río Tinto Minera permit également d'entreprendre l'extraction du gisement de kaolin de Vimianzo en Corogne via la filiale Caolines de Vimianzo dont elle détient 80% des actions. Cependant, les coûts liés à cette expansion et la forte baisse des prix du cuivre dans les années 80 entraînent une perte de près de 12 milliards de pesetas, ce qui pousse la société à adopter une politique de restriction des dépenses qui conduira en 1987 à la fermeture de la ligne de production de cuivre tout en restant à la deuxième place du secteur pyriteux espagnol avec 38,1 % de part de marché. En 1992, la corta Atalaya fut abandonnée avec un palmarès impressionnant :

- 990.400 tonnes de zinc,
- 645.000 tonnes de cuivre,
- 325.000 tonnes de plomb,
- 1.200 mètres de long,
- 900 mètres de large,
- 345 mètres de profondeur.

En 1989, la Río Tinto Minera est reprise par le groupe chimique Ercros avec le reste des actifs de l'ancien groupe de la Unión Explosivos Río Tinto avant de tomber entre les mains de la société américaine Freeport-McMoRan en 1993 suite à la faillite d'Ercros. L'absorption par Freeport-McMoRan eut pour conséquence la scission de l'entreprise en deux entités :

- Río Tinto Minera pour l'exploitation de Cerro Colorado,
- Río Tinto Metal pour l'exploitation de la fonderie de Huelva.

Cependant, face au déficit constant généré par l'exploitation, la nouvelle direction entame un plan d'arrêt progressif de la zone minière de Rio Tinto jusqu'à une cessation totale dans le courant de l'année 1996. Massivement rejetée par les travailleurs, cette proposition mènera au rachat des actifs de la société par les travailleurs de la Rio Tinto Minera qui devient dès lors une société syndicale jusqu'en 2001. Le Cerro Colorado sera ensuite repris par Atalaya Riotinto Minera qui continue toujours à exploiter la mine de nos jours.
Alors que la Rio Tinto Limited Company continue d'influencer les marchés mondiaux avec près de 81 milliards de dollars d'actifs bruts répartis sur cinq continents, l'ancienne zone minière de la Sierra Morena est en pleine reconversion. Supervisée par la Fondation Río Tinto depuis 1987, cette dernière se tourne désormais vers le secteur touristique et récréatif avec entre autres des visites de la Corta Atalaya ainsi que des balades en train sur l'ancien tracé ferroviaire de la société. Les amoureux du patrimoine industriel ne sont pas les seuls à s'intéresser à la zone puisque la NASA y s'y est également établie dans le but de réaliser des expériences dans un environnement similaire à celui de la planète Mars. Riche d'une histoire millénaire et doté de paysages grandioses, les mines de Rio Tinto constituent un intérêt majeur et absolument in-con-tour-nable si vous êtes de passage dans la province de Huelva.

      Reportage sur l'incroyable zone minière de Rio Tinto et sur ses fabuleux chevalements.

Copyright (c) / Photos by Nicolas Elias, Xavier Fer & Laura Dambremont