L'origine de la fabuleuse épopée
sidérurgique de Clabecq remonte à 1752, date à laquelle l'impératrice
Marie-Thérèse de Hongrie autorisa la construction d'un moulin à eau au
bord de la Sennette, installation qui sera complétée, en 1781, par un
moulin à battre le fer. Géré à l'époque par Marc Pierre Van Esschen,
cette petite forge sera modernisée au début du 19ème siècle et, en
1810, le premier haut-fourneau est construit sur le site. Cependant,
Van Esschen mourut quatre ans plus tard, causant l'arrêt de l'usine.
Reprise en 1818 par Léopold Eloi Besme, celle-ci prendra le nom de "Fonderie et platinerie de
fer" avant d'être considérablement agrandie dans les
années qui suivirent.
En 1820, on compte sur le site :
- un haut fourneau
à l'arrêt, - un four à
réverbère, - trois chaufferies, - quatre makas, - une Calebasserie.
En 1828, l'association de Léopold Eloi Besme avec Edouard Guillaume
Goffin et Nicolas Joseph Warocqué donnera naissance à la Société des
Forges et Fonderies de Clabecq. L'ouverture du canal
Bruxelles-Charleroi, en 1832, favorisa grandement le développement de
l'usine qui s'équipa dès lors d'un petit laminoir à tôle. Les comptes
sont malheureusement dans le rouge et, dès 1836, la société est mise en
vente avant d'être dissolue en 1839. Maintenue par Edouard Guillaume
Goffin, l'usine fut équipée en 1845 d'une grande fonderie moderne. Le
1er juillet 1851, la société est reprise par les fils d'Edouard
Guillaume, Charles Henri et Josse Philippe Auguste, qui exploiteront
désormais l'usine sous la raison sociale "C. et J. Goffin".
En 1858, les forges furent reliées au réseau ferroviaire via la gare de
Tubize. Ce nouveau moyen d'exportation causa un essor sans précédent et
permit à l'usine de moderniser ses installations tout en diversifiant
ses produits. 800 ouvriers travaillent à l'époque dans les forges.
Après la mort des deux frères, l'usine fut reprise par Josse Edouard
Goffin et, le 11 octobre 1888, la Société Anonyme des Forges
de Clabecq vit le jour. Les installations sont cependant
vieillissantes mais l'arrivée à Clabecq d'Eugène Germeau, premier
ingénieur civil de la société, poussa la direction à construire une
nouvelle usine qui sera inaugurée dès 1911 avec la mise à feu du HF1,
premier haut fourneau moderne de la région qui sera accompagné, dès
l'année suivante, du HF2. Ces hauts-fourneaux, composés d'une cuve en
briques réfractaires renforcées par un cerclage de fer, étaient
alimentés par du minerais amené à leurs sommets grâce à des
monte-charges à benne, placés sur des plans inclinés, un système
également utilisé dans les usines Gustave Boël à La Louvière ainsi
qu'aux Forges de la Providence, à Marchienne-au-Pont. L'idée de
construire un troisième haut fourneau germe rapidement mais l'entrée en
guerre de la Belgique entraîne de nombreux dégâts aux forges qui seront
mises à l'arrêt durant le conflit. Redémarrée en 1920, l'usine se dota
finalement du HF3 en 1925 puis du HF4, en 1929.
1599 personnes sont alors employées par la société qui est à présent
composée de :
- quatre hauts
fourneaux, - une tréfilerie, - un laminoir à
bande, - une agglomération, - une aciérie
Thomas, - une centrale
électrique.
La seconde guerre mondiale épargna en grande partie les installations
dont l'activité sera malgré tout drastiquement réduite. Après celle-ci,
l'usine continue son expansion et, en juillet 1956, un cinquième haut
fourneau sera mis à feu. Quatre ans plus tard, ce développement
atteindra l'autre rive du canal, à Ittre, qui fut désormais équipé
d'une nouvelle section. Inaugurée en 1964, celle-ci est composée d'une
aciérie LD (un procédé qui permet d'affiner l'élaboration de l'acier
avec de l'oxygène pur) ainsi qu'un train à tôles fortes et moyennes.
À la fin des années soixante, la direction décide d'investir dans la
coulée continue, entraînant la mise au point d'un nouveau haut
fourneau, le HF6. Inauguré le 20 novembre 1972, ce haut fourneau ultra
moderne fut construit par la Société Anonyme Paul Wurth et était, avec
ses 106 mètres de hauteur, la plus haute installation industrielle du
pays. Assurant une production journalière de 3.000 tonnes de fonte
(contre 2.500 tonnes pour les cinq autres hauts fourneaux réunis),
celui-ci mis rapidement fin à l'exploitation des HF3, HF4 et HF5. En
1974, l'aciérie sera modernisée avec une ligne à coulée continue,
installation qui sera doublée en 1976. 4347 personnes sont alors
employées aux forges mais, malgré de nombreux investissements menant à
la création d'installations de désulfuration, de mises en peinture et
d'un nouveau système de broyage et d'injection de charbon, l'entreprise
va mal et les effectifs seront considérablement réduits dans les années
suivantes, passant à 3969 personnes en 1984 à 2197 personnes au début
des années 90. Causées à l'origine par le choc pétrolier des années 70,
ces difficultés seront considérablement accentuées par l'augmentation
du prix des matières premières. La société se tourne alors vers la
fonte hématite qui sera produite par le HF6 dès 1991 mais, dès l'année
suivante, les menaces de fermeture déclencheront une grève de cinq
semaines qui se termina par un sauvetage in extremis de l'usine par la
région wallonne. En 1994, de nouvelles grèves éclatent mais la
faillite, devenue inévitable, est prononcée le 3 janvier 1997 par le
Tribunal de Commerce de Nivelles.
La colère gagne alors les ouvriers qui se rassemblèrent derrière
Roberto d'Orazio, alors animateur de la Section Syndicale FGTB, pour
exprimer leur mécontentement. Le mouvement, gonflé par l'afflux de
travailleurs venant de toute la Wallonie et par quelques contingents
syndicalistes flamands, prend rapidement de l'ampleur et, le 2 février
1997, c'est près de 30.000 personnes qui participent à la "marche
multicolore pour l'emploi" pour crier leur mécontentement face aux
banques et à la destruction de l'emploi suite à la mondialisation de
l'économie.
Cette marche constitue le plus grand rassemblement ouvrier de ces
cinquante dernières années en Belgique. Fin 1997, la société
sidérurgique Duferco
acquiert la laminoir d'Ittre et y
réalise de nombreux investissements. La démolition des forges débute en
2006 et s'accentua en 2010 avec la destruction du HF1, un des trois
derniers hauts fourneaux du site. Le 4 septembre 2012, c'est au tour du
HF6 de tomber, un triste spectacle (visible ici) qui
rassembla des centaines de personnes sur les rives du canal. Les
démolitions se poursuivirent et, bien qu'un projet immobilier vit le
jour au début des années 2000, le site est toujours aujourd'hui un
immense terrain vague dont seul le HF2 vient rompre la monotonie. Cette
installation, bien qu'amputée de la majorité de ses annexes, constitue
en 2020 le dernier haut fourneau à Monte-charge Staelher d'Europe.
Je remercie Xavier pour ses superbes photos de nuit ainsi que ses
photos de la démolition du HF1.
Reportage sur les Forges de Clabecq, la plus
fantastique usine visitée dans le pays.
Exploration du pertuis de la Senette, une petite
rivière qui passe sous les forges.
Reportage sur les tristes vestiges des forges en 2020 et 2024.
Copyright (c) / Photos by Nicolas
Elias, Xavier Fer & Laura Dambremont